PSYCHO. Développement de l’enfant : Une relation fondée sur l’empathie

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Le manque d’empathie, d’une perception et compréhension sensible de l’autre qui permette d’améliorer les relations privées et professionnelles, et de mieux penser nos organisations sociales et politiques inquiète. Cette compétence se développe dès l’enfance.

via Développement de l’enfant : “il faut une relation fondée sur l’empathie
Par Elena Sender le 01.04.2017

A l’occasion de la Journée mondiale de l’enfance, le 20 novembre 2017, (re)découvrez notre interview de Catherine Gueguen, pédiatre et pionnière de l’éducation inspirée par les neurosciences, qui livre un plaidoyer pour un développement cérébral harmonieux.

Sciences et Avenir : Que faut-il pour que le cerveau se développe de façon optimale ?

Catherine Gueguen : Les expériences vécues par le bébé modifient en profondeur son cerveau. Les études montrent que certaines expériences facilitent sa maturation quand d’autres la ralentissent. Une brillante chercheuse néerlandaise, Laura van Harmelen actuellement à Cambridge (Royaume-Uni), a ainsi observé que le cortex orbitofrontal, une structure impliquée dans l’empathie, la régulation des émotions, la prise de décision, le sens éthique et moral, diminue de volume chez l’enfant en cas de maltraitance émotionnelle.

Qu’appelez-vous “maltraitance émotionnelle” ?

Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, c’est tout comportement ou parole qui rabaissent l’enfant, comprenant les menaces verbales, l’isolement social, l’intimidation, l’humiliation. Le fait de le terroriser, de l’exposer au danger, à la violence. C’est aussi le rejeter, ne pas répondre à ses besoins. Cette maltraitance émotionnelle reste très préoccupante, sans parler de la grande maltraitance physique qui, rappelons-le, fait deux morts par jour en France (source Inserm).

L’éducation bienveillante serait donc à la base d’un bon cerveau ?

Absolument ! Bruce MacEwen, de l’université Rockefeller (États-Unis), a montré qu’une trop grande quantité d’hormones du stress (cortisol) interfère sur l’hormone de croissance des neurones et donc sur le bon développement du cerveau. Le cortisol est sécrété lorsque l’amygdale cérébrale est activée par la peur, le danger, la menace. Or, cette structure est l’une des seules à être mature à la naissance, ce qui rend le nouveau-né ultrasensible à la peur. En conséquence, la violence (physique ou verbale) abîme concrètement son cerveau. Dans ma pratique clinique, j’avais constaté l’effet néfaste d’une éducation trop autoritaire.

Aujourd’hui, les neurosciences confirment qu’humilier un enfant est nocif pour son cerveau. Pour le protéger, il faut une relation empathique, aimante, encourageante alors que l’éducation “à l’ancienne” – à base de brimades et punitions – est encore très prégnante. Selon l’Unicef, quatre enfants sur cinq dans le monde sont encore soumis à une discipline verbale ou physique violente.

Quelles difficultés rencontrent les adultes face au bébé ?

Le plus difficile pour les adultes est de faire face à l’immaturité cérébrale de l’enfant. Celui-ci est dominé par son cerveau archaïque et émotionnel jusqu’à 5 ans. Lorsqu’il éprouve de la colère, de la tristesse ou de la peur, il n’a aucun filtre ni pouvoir de contrôle, car son cortex préfrontal (régulation des émotions, raisonnement) est immature. Ce qui engendre de véritables tempêtes émotionnelles incontrôlées. L’âge du nombre le plus élevé de fessées est à 3 ans, ce qui en dit long…

Mais comment bien réagir face à ces tempêtes émotionnelles ?

Il faut changer son regard, se dire que le bébé n’est pas encore “équipé cérébralement” pour réagir autrement. La clé de la réussite, c’est comprendre les émotions de l’enfant, lui dire que sa colère doit être très difficile à vivre, mais qu’il va apprendre à la contrôler petit à petit, qu’on lui fait confiance.

N’est-ce pas trop laxiste ?

Il faut rappeler le cadre lorsque c’est nécessaire et expliquer brièvement pourquoi on dit “non”. Mais il faut être aussi un bon modèle ! Dès la naissance, l’enfant est un imitateur hors pair. Si l’adulte crie, menace, humilie – voire frappe -, il ne peut être étonné que l’enfant reproduise ce comportement. Les enfants élevés avec empathie ne deviennent pas agressifs.

Les livres qui prônent une réforme de l’éducation et de l’école fleurissent. Pourquoi cet engouement ?

L’éducation étant dans une impasse (crise des professeurs, mauvais classement des élèves Français aux tests internationaux…), il y a un besoin de renouveau. Depuis Antonio Damasio – le premier à avoir révélé “la raison des émotions” (1995) -, nous avons compris qu’il fallait revoir nos méthodes pour éduquer des enfants davantage en accord avec ce qu’ils sont et en obtenir le meilleur. Cela va dans le bon sens : depuis 2015, le programme de maternelle insiste sur la “bienveillance”, moyen de développer la confiance, c’est un progrès. Mais il reste des résistances. Car le sujet de l’éducation “bienveillante”, qui transforme notre vision de l’être humain que l’on n’a plus à “mater”, est politique. Et des décideurs qui gardent une vision traditionnelle rechignent à l’appliquer.

Un enfant peut-il surmonter une éducation violente ?

Tout dépend, bien sûr, du préjudice subi. Une violence éducative peut être surmontée par la résilience, grâce à la plasticité du cerveau, c’est-à-dire sa capacité à se remodeler en fonction de son environnement. Évitons d’avoir à réparer et choisissons une nouvelle éducation empathique à la place d’une éducation basée sur le stress ! Nelson Mandela disait : “L’éducation est l’arme la plus puissante que vous pouvez utiliser pour changer le monde.” J’ajouterai que l’éducation doit être adaptée au cerveau des enfants.

Cet article est extrait du dossier “Le génie du bébé”, rédigé par Elena Sender et Sylvie Riou-Milliot et publié dans Sciences et Avenir n°841 de mars 2017.